La définition de l’art
Floral par Pascal Mutel
L’art
floral, comme à chaque fois qu’on parle d’art comprend toujours une palette
très large.
Ma vision
de l’art floral c’est de rapprocher la fleur des gens et de la faire rentrer
dans leur intimité.
Cette
intimité elle est multiple et diverse, ce qui est intéressant justement par
rapport à un art figé comme la sculpture ou la peinture.
L’art
floral est finalement un art presque vivant où la fleur est quasiment tout le
temps en mouvement, qui bouge beaucoup selon les saisons, toujours différentes de
couleurs, de formes, et d’odeurs. Avec toute cette palette à disposition, on peut
traduire l’expression et les intentions.
« Je préfère le
terme « design » au terme « art » floral, car finalement l’approche
que l’on a c’est mettre la fleur au service de l’instant, d’un moment des
gens ».
Selon le
lieu, l’évènement et le moment, que ce soit un grand dîner institutionnel, un
dîner en amoureux, un mariage, un fleurissement d’un vernissage d’une exposition,
le fleuriste va avoir une réponse très différente.
Par exemple
à la Galerie des Glaces à Versailles, sur une grande table miroir moderne crée
par Pierre de Brantes, on aura réalisé un très grand chemin de table raz, comme
un grand trait d’hortensias blancs. Pour un dîner à deux dans un salon du
restaurant du Musée Baccarat ou dans un appartement, on disposera peut être une
série de petits bouquets romantiques ou des plus classiques dans un hôtel
particulier meublé XVIII sur l’île Saint Louis, etc.
« A chaque fois c’est
l’approche qu’on va avoir de la fleur pour la transformer qui est intéressante.
C’est à ce moment précis que ce travail devient un art. On bénéficie d’une
large palette, on pioche dans la nature comme un peintre avec toutes ses couleurs
pour donner des formes, des mouvements, des expressions différentes selon le
style, la lumière ».
Pour moi
l’art floral est avant tout un travail du naturel, je suis très sensible au
mouvement des fleurs, des couleurs et des contrastes. Je peux jouer par exemple
avec une fleur très noueuse, très tortueuse et la mettre toute seule dans un
grand vase pour faire ressortir sa forme particulière. A l’inverse je peux aussi
jouer sur la profusion.
J’aime beaucoup
aussi travailler les camaïeux, les nuances subtiles qu’on peut avoir, les
monochromes, les dégradés d’orange, de mauve, de vert avec uniquement des
feuillages et quelques fleurs vertes à l’intérieur.
« Ma
particularité c’est vraiment le naturel, mettre en avant la nature que je
trouve être une grande créatrice de mode ».
La transmission de l’Art Floral
Je me suis
toujours inscrit dans l’idée d’une transmission. La fleur est un vrai métier de
passion pour moi, qui nécessite beaucoup d’énergie. Et comme souvent avec les
produits frais, il faut aller vite, il y a un gros travail de préparation de la
fleur, avec des vases plus ou moins lourds. L’engagement est d’abord physique.
Ensuite il est
toujours très enthousiasmant de partager sa connaissance de la fleur, comment
on va la traiter, la travailler et l’associer, quelles sont les règles - car comme
tout art, il y a des règles à respecter pour que les fleurs se révèlent et
s’expriment au mieux - donner ses petits secrets, ses idées d’associations
auxquelles on ne penserait pas forcément.
Les associations
« Il est
important pour moi que soit la fleur soit l’élément associé apporte une matière
ou une senteur originale et particulière, un élément très sauvage avec un autre
très sophistiqué ».
J’aime
beaucoup faire des associations inédites : une grosse motte de thym très
parfumé, dans les nuances de gris vert sur laquelle on va poser une orchidée
très précieuse comme un catleya ou un sabot de Vénus, un bouquet de menthe marié
avec des roses de jardin, des grands vases remplis de romarin et de roses blanches.
Ces
associations peuvent avoir un côté ludique et amusant. En hiver on entrelacera des
renoncules orange avec des fagots de cannelle, très intéressant par exemple
lors d’un dîner sucré salé de jouer avec cette union.
C’est ce
qui me plait dans l’art floral. Multiple et particulier en cela où il est à la
fois du design, à la fois de l’artisanat, un mélange des deux où chacun ensuite
ajoute sa touche personnel.
Les courants d’art
floral
A une
époque il y a eu un courant assez minimaliste où l’on dirigeait beaucoup les
fleurs. Je ne me suis jamais reconnu dedans. Aujourd’hui le courant a rejoint
ma sensibilité, on revient à des choses plus naturelles, les fleurs sont
laissées dans leur forme originelle. J’en suis très content puisque c’est comme
çà que je travaille depuis plus de 20 ans. Le naturel demande néanmoins
beaucoup de travail aussi, de recherche, des fleurs, du producteur, de la
rareté du produit.
Parmi les
différents arts floraux, chaque pays a ses caractéristiques. On ne consomme pas
les mêmes fleurs en Italie, en Belgique et en France ou en Russie. On n’aime
pas les mêmes choses et on n’apprécie pas les mêmes fleurs. En France, l’œillet
est une fleur pour laquelle des gens ont une vraie superstition, dans d’autres
pays pas du tout. Chez nous le blanc est très utilisé, en Asie c’est plutôt une
couleur associée au deuil, donc on ne va jamais offrir à un asiatique un
bouquet blanc par exemple.
Il y a
d’abord un environnement culturel, puis un environnement des productions. C’est
vrai qu’aujourd’hui la fleur arrive du monde entier et repart vers le monde
entier. Ce n’était pas le cas il y a encore une vingtaine d’années où 95% des
fleurs utilisées dans un pays provenaient de son marché local. 20 ans n’ont pas
suffit encore pour complètement modifier certains attachements à un type de
fleurs ou à des couleurs.
Quant à l’art
floral à la française, c’est effectivement une idée d’un certain romantisme
dans nos bouquets. C’est une vraie valeur ajoutée sur ce thème. En Europe du
nord on aura des bouquets plus raides, plus géométriques, plus travaillés sur
des formes et des couleurs. En France on développe un travail plus souple. En
Asie, l’ikebana par exemple c’est encore autre chose.
Cet art
traditionnel japonais répond à des codes extrêmement précis qui ne sont pas
toujours très accessibles quand on ne les connait pas bien. Il faut vraiment le
pénétrer pour les décrypter.
Moi-même
pour avoir lu quelques ouvrages sur le sujet et suivi une démonstration d’un
maître de l’ikebana, je reconnais que les esthétiques parfois semblent
particulières. Elles répondent à des codes différents, pas toujours très
perceptibles. Comme pour le fengshui, c’est un art de vivre, une philosophie.
On va transmettre des éléments, des énergies, on va associer ou opposer. Il y a là
des vraies différences culturelles.
Après, on
peut intégrer un « simili » ikebana dans une composition florale
« japonisante: des fleurs de nénuphars, des galets noirs, différents
éléments associés mais cela reste esthétique sans dimension philosophique ou
symbolique.